Vous avez beaucoup voyagé durant toute votre vie, du fait de vos parents mais aussi pour des raisons personnelles. Est-ce la raison qui vous a amené à chanter en anglais (la langue internationale par excellence) ? Et comment ces voyages ont-ils nourri votre musique ?

Dès que j’ai eu envie d’écrire, j’ai écrit en anglais. C’est un choix, ou pas, je ne sais pas. Ça m’est venu complètement naturellement, depuis l’enfance. Voyager a toujours nourri mes paroles, mon imaginaire. Un crayon et un stylo sont mes meilleurs amis lorsque je voyage, un peu comme mon gouvernail.

Vous avez créé votre propre studio au sein de votre domicile et ce, bien avant la pandémie. Était-ce par pragmatisme (tel le poète pouvant écrire où et quand il le souhaite, vous pouvez aisément vous enregistrer et créer une chanson, un album), une volonté d’autonomie complète ?

Pouvoir enregistrer mes albums chez moi, c’est comme d’avoir un figuier dans mon jardin. Je peux cueillir les bonnes figues, une, deux, trois par jour, en attendant le bon moment, qu’elles soient prêtes pour moi, parfois au petit matin, parfois au coucher du soleil. Je cueille mes chansons quand elles sont prêtes pour moi. Comme les figues, mes chansons mûrissent mal détachées de l’arbre, et aller en studio, c’est un peu comme  cueillir tous les fruits et les mettre au frigo. On en perd l’envie.

Vos albums, et notamment les derniers fonctionnent un peu comme des sortes des notes ou de carnets de journaux, comme si vous racontiez un moment précis de votre corps, de votre âme ou de vos émotions. Qu’apprend-on sur soi et les autres quand on compose des chansons ? Est-ce une manière différente de se comprendre et aussi de parler aux gens ?

Jusqu’à récemment, je n’avais jamais pas fait de thérapie mentale, et mes chansons soulevaient beaucoup de questions et d’angoisses. En écriture je me partage toujours entre les choses que j’ai envie de dire, et les choses qui ont envie que je les dise.

Je crois que sculpter, peindre, dessiner viennent d’un foyer profond en moi, comme la chanson.

Vous pratiquez aussi la peinture et le dessin, et vous exposez d’ailleurs dans plusieurs parties du monde. Y a-t-il des passerelles entre le geste créatif d’une chanson et celui d’un dessin ou d’une sculpture ? Composez-vous une chanson comme vous composez un dessin ou une sculpture? Cela répond-il au même besoin ou au même désir ?

Je crois que sculpter, peindre, dessiner viennent d’un foyer profond en moi, comme la chanson. Je trouve les arts plastiques plus rigoureux, mais aussi plus imaginaires que la chanson. Je reste très près de la réalité en chanson en général. La partie de mon art qui s’en rapproche serait ma bande dessinée peut-être , qui parle vraiment de moi de façon assez simple.

Vous pratiquez par ailleurs la nage, notamment avec votre compagne. Cécile Coulon, autrice et poétesse, pratique la course à pied et voit le sport comme une manière de préparer ses histoires : « Tout ce qui est encombrant s’en va, alors c’est évidemment uniquement pendant le temps de la course et un tout petit peu après, mais on ne garde en tête que ce qui est parfaitement nécessaire à ma vie et quand je suis en train d’écrire, ce qui est parfaitement nécessaire à ma vie, c’est l’histoire qui est en train d’être construite. Donc en courant, je construis mon histoire, la régularité de la foulée m’oblige à solidifier ce que j’étais en train de faire auparavant, à creuser peut-être encore plus mon histoire, mes personnages, mon suspense, à les crédibiliser. » La nage vous permet-elle de construire vos chansons différemment ? La chanson est-elle un sport comme un autre ?

Les artistes ont souvent besoin d’une routine, d’habitudes, et de discipline, peut-être pour contrebalancer l’instabilité de nos vies professionnelles et bien souvent du reste de nos relations. Nager tous les jours, c’est mon petit-déjeuner, mon déjeuner, je ne peux rien commencer sans. Être seul dans l’océan au petit matin m’inspire très souvent, et quand ça ne m’inspire pas de chanson, ça me calme, et me permet de vivre ma vie plus normalement.

J’adore les chansons, je m’exprime en chanson, et je me trouve bien plus clair en chanson que dans la vie. Je trouve que lorsque une chanson nous touche, c’est une sensation, un sentiment d’une pureté qui pour moi ne peut que s’expliquer que par l’instinct.

Parmi les figures qui ont compté pour vous, on compte Tom Waits, lequel livrait lors d’un entretien la vision de la vie : « Est-ce que je recherche quelque chose ? J’en sais rien. Je ne fais qu’une chose à la fois. Atteindre un but ? Je ne vois pas les choses comme ça. Chacun grandit et fait les choses à son rythme, avec ses propres idées. Je ne mesure pas les choses en terme d’accomplissement. » Avez-vous aussi grandi et fait les choses à votre rythme ?

Je ne sais pas ce qu’on appelle accomplissement. J’ai eu très peu de prix, j’ai vendu très peu de disques, et peu de gens connaissent mes chansons. Pourtant je suis un artiste professionnel depuis vingt ans, et j‘écris des chansons meilleures que lorsque j’ai commencé, je fais de meilleurs tableaux et des plus belles sculptures. Donc, pour certains je représente peut-être un échec, et pour d’autre un accomplissement. J’essaie (mais c’est dur ) de ne plus porter ce genre de jugement sur mon travail, d’autant que mon travail fait corps avec ma vie et je ne veux pas juger ma vie en terme de succès et d’échec.

Vous avez souvent dit votre amour pour Bukowski. Quelle fut la portée des écrits de Hank sur votre propre écriture/univers ?

Je lis Bukowski depuis le lycée et maintenant j’habite dans sa rue. Son flow, la structure et le travail soutiennent ses écrits qui ont l’air tellement naturels. Cette manière de travailler continue à m’attirer.

Au début de l’histoire du groupe, vous chantiez avec votre frère. Son départ a-t-il été une remise en question de la vie du groupe et comment cela vous a amené à modifier votre production ?

Pour moi, Herman Düne, c’est et ça a toujours été mon projet, mon idée. Au moment de Turn Off The Light, j’ai demandé à André de me rejoindre, mais pour moi ça n’enlevait rien au fait que c’était mon projet. Ça n’a pas changé ma façon de travailler lorsqu’il est parti, mais par contre ça a changé le reste de ma carrière dans le sens où je suis sûr qu’on me posera toujours une question à ce sujet! Mais je comprends, ça fascine un peu les histoires de frères.

Il faut travailler un peu pour écrire, on travaille pour préparer le terrain, pour être au niveau quand l’instant vient. Quand la chanson arrive, et ça on ne peut pas le décider, on sera plus apte à la voir, à la mettre en forme, à la découvrir et l’emmener où elle doit aller, si on a travaillé un peu.

Lors d’une émission sur France Culture, l’historien Christophe Prochasson proposait cette vision de la chanson : « La chanson, peut-être plus que d’autres pratiques culturelles, remplit cette fonction à la charnière de l’individuel et du collectif. La chanson nous sert à trouver des mots justes pour nous définir, pour définir ce que nous éprouvons, ce que nous vivons (…). » En quoi la chanson vous a-t-elle permis de créer du lien entre vous et les autres ? Êtes-vous guidés lors de l’écriture par la recherche des mots justes ?

J’adore les chansons, je m’exprime en chanson, et je me trouve bien plus clair en chanson que dans la vie. Je trouve que lorsque une chanson nous touche, c’est une sensation, un sentiment d’une pureté qui pour moi ne peut que s’expliquer que par l’instinct. Comme si chanter était pour nous quelque chose de primordial, peut-être une des rares choses que tous les humains aiment.

L’album Notes from Vinegar Hill est le seul à comporter une reprise, celle d’une chanson de John Prine. Ce dernier, lors d’une interview dans Rolling Stone Magazine, à qui on demandait quels conseils il donnerait à un jeune auteur de chanson, répondait la chose suivante : « T’en fais pas trop avec les rimes. Fais-toi plaisir et ne te prends pas la tête avec le fric. Il faut écrire avec ses tripes. On ne chope rien de bon quand on se prend la tête à essayer de deviner ce que les autres attendent de toi. » Aviez-vous aussi ce désir mimétique lors de l’écriture de chanson ? L’écriture est-elle chez vous le fruit d’un labeur ou de l’inspiration relié à une émotion , un lieu ou une sensation ?

J’adore John Prine. Malgré une carrière fulgurante et un respect dans les plus hautes sphères de la chansons, il a toujours eu une attitude un peu Underground, Presque humble, et une écriture à cette image. Il faut travailler un peu pour écrire, on travaille pour préparer le terrain, pour être au niveau quand l’instant vient. Quand la chanson arrive, et ça on ne peut pas le décider, on sera plus apte à la voir, à la mettre en forme, à la découvrir et l’emmener où elle doit aller, si on a travaillé un peu. Même si la chanson arrive en nous comme un cadeau, il vaut mieux faire de la place et préparer la chambre pour son arrive.

 Au sujet des reprises, vous avez joué un album entier de Bob Dylan. Comment envisagez-vous la reprise ? Est-ce juste une manière de rendre hommage à un artiste essentiel ou est-ce aussi une manière de trouver par là même sa propre voix ?

Avant tout, une reprise c’est pour moi l’occasion de bien comprendre une chanson, de l’intérieur, de la visiter, de l’explorer, de me poser des questions que je ne me pose pas quand je l’écoute passivement. Je chante des reprises tous les jours, j’apprends à connaître les artistes que j’aime comme ça. Après de temps en temps, il se passe quelque chose de spécial dans le texte, la mélodie, la cadence d’une chanson que je reprends, et je trouve ça un peu plus intéressant, auquel cas je l’enregistre.

Qu’écoutez-vous-en en boucle ce moment ?

LANA DEL REY – NORMAN FUCKING ROCKWELL (ALBUM)

NINA SIMONE – I PUT A SPELL ON YOU (ALBUM)

BRUCE SPRINGSTEEN – CANDY’S BOY (CHANSON)

DAN REEDER – EVERY WHICH WAY (ALBUM)

LEONARD COHEN – SONGS OF LEONARD COHEN (Album)

Qu’avez-vous comme livre de chevet actuellement ?

LEONARD COHEN – THE SPICE BOX OF EARTH

JOEL & ETHAN COHEN – SCRIPT for LLEWYNN DAVIS

Qu’est-ce qui vous fait vibrer en ce moment ?

NICKI MINAJ

Quel est le titre auquel vous ne pouvez pas résister de danser ?

THE SUPREMES – BACK IN MY ARMS AGAIN

Notre média s’appelle Cultures Sauvages, qu’est-ce que cela évoque pour vous ?

Je pense aux champignons qui se développent sur une papaye que j’ai laissée sur la table de la cuisine

Herman Düne sera au Noumatrouff le jeudi 17 novembre. Pour plus d’informations, cliquez sur le lien ci-dessous :

http://www.noumatrouff.fr/prochains-concerts/herman-dune-20h

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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