Dans son célèbre poème « Voyelles », Arthur Rimbaud inscrit le geste créateur dans une démarche synesthésique : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, /Je dirai quelque jour vos naissances latentes ». Chaque voyelle fait émerger et correspond à des couleurs, des sensations, des images.

Créer, c’est vivre le monde avec une différence de perception. Tout artiste vit cette différence. C’est le cas du personnage de Tom Ciancio, issu du premier roman de Fabrice Capizzano, La Fille du chasse-neige publié Au diable Vauvert.

Ce dernier vient d’une famille de quatre enfants (il a deux frères et une sœur) dont la mère est hospitalisée et dont le père a bien du mal à assurer le lien familial. Tom est chanteur d’un groupe de rock sur le point de naitre, lequel expérimente cette différence depuis tout petit : « Je l’ai déjà dit, je suis né comme ça. J’ai toujours vu la couleur des autres, de tous les autres. Des arbres aussi. Et de certaines pierres, et même des notes de musique. On m’a donné cette vision du monde. On m’a donné cette vision du monde. »

Tom va vivre une histoire d’amour passionnée envers Marie, celle qu’il appelle « la fille du chasse-neige », avec laquelle il va devoir apprendre à gérer ses sentiments et ses accès de colère. Fabrice Capizzano saisit avec une justesse et une tendresse incroyable ces moments de grâce.Ce moment magique où tout bascule, où quelqu’un vient bouleverser notre quotidien : « Elle était magnifique avec ses cheveux noirs courts, je n’ai vu qu’elle quand elle attendait dans son bolide chenillé que les pompiers finissent, et qu’elle puisse à nouveau ouvrir la route jusqu’à la nationale. Je l’ai vu bouger les épaules en rythme, alors je me suis dit qu’elle devait écouter la radio, du coup j’ai allumé la nôtre, et comme ici on n’en captait qu’une, je ne pouvais pas me tromper. Je l’ai regardé danser tout le long de Don’t stop ’til you get enough de Jackson et j’ai su qu’on était sur la même longueur d’onde. Elle avait la classe, elle avait le groove, elle était dans l’instant et ça m’a bouleversé. Alors dans une espèce de parfaite normalité, je suis tombé amoureux de la fille du chasse-neige. »

Fabrice Capizzano campe des personnages tout en nuances et en aspérité, à l’instar du personnage de Tom. Toute en douceur et en retenue. En violence contenue. Il devient au fur et à mesure un musicien célèbre et le lecteur suit l’évolution de ce personnage. Ce qui est formidable dans ce roman, c’est la manière dont l’auteur capte, tel un musicien ou un peintre, des blocs de vie.

Tom va faire la rencontre d’un manager, Franck, lequel va voir en lui un talent pur pour la musique. L’auteur parle d’ailleurs admirablement de ce que peut représenter la musique, à l’image des propos de Franck quand ce dernier découvre la talent de Tom:  » Garçon, une chose est sûre, aussi sûre c’est que t’existes et que je peux te toucher, nom d’une Patchamama, quand tu chantes, tu me fais penser à un verre en cristal qui traverserait des tempêtes sur des mers déchaînées sans casser […]Plus personne ne fait, répétait-il en tendant les bras au ciel, toutes les bandes que j’entends depuis des années sont remplies de trucs boiteux de mecs qui cherchent à faire mais qui ne font rien du tout à part se branler l’ego, et où au final il manque l’essentiel. »

Ce roman, c’est Nick Hornby qui croise Kurt Cobain.Chaque partie apparaît comme la captation d’une tranche de vie, comme si le lecteur écoutait la bande originale de la vie des personnages. Fabrice Capizzano évoque avec humanité un milieu et une réalité sociale avec une incroyable galerie de personnages secondaires : la famille de Tom, ses musiciens, son public de fans.

Dans une interview accordée à France Culture, le romancier américain Richard Ford donnait sa vision du personnage: « Un personnage intéressant est quelqu’un qui réfléchit la langue, qui fait en sorte que le lecteur réfléchisse aux choses importantes de la vie. (…) Il s’agit de créer une nouvelle prise de conscience. » C’est bien ce que l’on ressent à la lecture de « La fille du chasse-neige »: Tom et tous ceux qui l’accompagnent expriment ce qu’on cherche dans la vie.

À toi de prendre conscience, lecteur, lectrice, qu’il faut rencontrer Tom, Franck, la « fille du chasse-neige » et tous les autres.

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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