Ecrire est une manière de rendre les coups. L’art de l’écrivain s’apparente ainsi à celui du boxeur. Il faut savoir être inventif et pugnace pour emporter l’adhésion du public et mettre son adversaire k.o.

Dans son nouveau roman Merdeille, Fred Arnoux place ce roman déjanté et tonitruant sous le signe du combat social et politique des déshérités, ceux qui tentent de survivre avec le peu qu’on leur a laissé.

Le personnage de Kiki

Il n’est pas étonnant de découvrir dès les premières pages que l’un des personnages principaux, Kiki, pratique la boxe : « Ses deux poings, c’est tout son savoir-faire. Deux étoiles filantes en plein jour. Même pas le temps de faire un vœu tellement ça va vite. Direct uppercut crochet, peu importe, Kiki c’est un autodidacte, il a jamais étudié les classiques. Droite ou gauche, ça fait aussi mal des deux. Difficile de deviner qui va s’en prendre une, ça part au hasard. Jamais à la tête du client parce qu’il déteste personne en particulier.»

« Ses deux poings, c’est tout son savoir-faire »

Merdeille

On va suivre dans cette fable drolatique et absurde le quotidien de Kiki, Lulu, madame Fofana. Citons notamment ces habitants qui pour survivre survivent attrapent des rats dans les cages d’escalier qu’il faut ensuite empailler avant de les expédier à de mystérieux clients chinois, sous le contrôle de l’Association des Dentistes.Fred Arnoux utilise les mots en les détournant, comme une réponse à la violence économie et politique. En effet, tel un boxeur, il cherche à renvoyer le langage normatif dans les cordes en inventant une langue emplie de néologisme et d’expressions argotiques.

Un roman drolatique et décalé

C’est un roman réjouissant et nécessaire qui assène des uppercuts comiques et loufoques, à l’instar de ce portrait animalier :« Là-où-on-habite-pas, ils arrêtent pas le progrès. Les vaches ont peut-être plus de poils mais elles ont encore des yeux qui voient. Elles broutent tranquilles les pneus, les sacs plastique et quand le train passe, le temps qu’elles relèvent la tête, y’a déjà plus rien à voir. A part nous. Celles qui ont encore toute leur tête, elles détalent comme des lapins atomiques. Les autres qu’ont même plus une dent à force de servir d’échauffement à Kiki, je le vois bien, quand je regarde tout au fond de leurs yeux au beurre noir, y’ a comme une petite flamme. Peut-être qu’elles attendent que ça, se faire assommer. »

 » Ils auraient bien filmé les eaux turquoise du lac artificiel qu’a fait construire l’Association des Dentistes pour Un Monde Meilleur mais pas de bol, une fois de plus, tous les poissons flottaient le ventre à l’air. »

Merdeille

Donner et recevoir des coups

On en revient toujours à cette figure du coup qu’on prend et qu’on subit. Il s’agit bien de rendre des coups et voir avec plaisir Fred Arnoux en donner quelques-uns.Son adversaire, c’est l’absurdité et la violence du politique : « Un jour des journalistes à caméras sont venus. Ils ont filmé Kiki sa mère son père et moi son pote à la guitare. Mais les quatre bâtiments avec au milieu le terrain de foot plein de trous, le petit bois avec ses arbres qui ressemblent à pas grand-chose et les rats qui se dégourdissent les pattes dans les cages d’escalier, ça leur disait trop rien. Ils auraient bien filmé les eaux turquoise du lac artificiel qu’a fait construire l’Association des Dentistes pour Un Monde Meilleur mais pas de bol, une fois de plus, tous les poissons flottaient le ventre à l’air. Ça faisait la quatrième fois depuis qu’il avait été creusé. Y’a des jours comme ça. Comme d’hab’, ils ont préféré aller filmer les sourires scintillants des dentistes, leurs femmes en silicone au volant de cabriolets qu’ont des zéros à la place des roues sans parler de leurs chiens qui passent leur temps à montrer leurs crocs en or derrière les barrières électrifiées des villas. »

Merdeille, c’est Affreux, sales et Méchant réécrit par Groland. C’est l’univers de P’tit Quiquin de Bruno Dumont remixé par Frédéric Dard.

Antoine

S’il fallait résumer ma vie, je dirais que je suis un mélange entre Laure Adler, Droopy et Edouard Baer.

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