« Écrire, c’est attendre une réponse, mais bien souvent il faut aller la chercher soi-même, aller au devant des destinataires. », déclarait Serge Joncour dans la revue Décapage.
Et de rajouter : » C’est pourquoi je réponds à toutes les sollicitations ou presque. » Cet auteur, pour se déplacer dans les libraires, dans les bibliothèques, les collèges ou les associations est donc un adepte des transports, et plus particulièrement du train. Mais pas n’importe lequel. Le train qui traverse toutes les gares. Celui qui prend le temps de vous faire observer les paysages d’un « monde qui insiste » comme il aime le dire.
Le roman comme puissance narrative
Il n’est d’ailleurs pas étonnant de trouver cette récurrence ferroviaire dans un roman paru au milieu du siècle dernier, Le docteur Jivago de Boris Pasternak, à l’instar de du premier chapitre intitulé « L’arrivée » dans la huitième partie : « Le train qui avait amené la famille Jivago n’était encore arrêté que sur une voie en retrait que d’autres convois séparaient de la gare, mais on sentait déjà que le lien avec Moscou, maintenu durant le voyage, s’était rompu pour de bon ce matin. Ici commençait une nouvelle zone, un autre univers, celui de la province, qui gravitait autour de son propre centre d’attraction. »
Il n’est au final pas étonnant que ce grand roman russe fasse référence à cet univers de la campagne, puisque Serge Joncour s’en est inspiré pour son dernier roman Nature humaine, autant par l’ampleur narrative que par l’histoire d’amour vécue par les protagonistes.
» Il se demandait si Constanze, où qu’elle soit, avait retenu cette date mais sans doute qu’elle l’avait complètement oubliée et qu’elle ne se souvenait même pas de leur histoire ».
Cette ampleur du récit saisit le lecteur tout au long du roman de Serge Joncour. Il est question d’une ferme dans Le Lot, la ferme des Bertranges, où vivent un couple agriculteurs avec leurs quatre enfants, Caroline, Agathe,Vanessa et Alexandre. Ce dernier va se retrouver à reprendre la ferme familiale alors que ses sœurs vont quitter au fur et à mesure le giron familial. Le roman ancre son histoire ente deux évènements unanimistes : la canicule de juillet 1976 et la tempête de décembre 1999.
Il est intéressant d’ailleurs de constater que l’un de ses premiers romans, U.V., racontait une histoire de canicule.
Le roman ou la passion amoureuse
Le lecteur va parcourir ces décennies à travers les mutations socio-historiques ( la construction d’une autoroute, l’installation des hypermarchés) ainsi qu’à travers celle d’un amour qui cherche à défier le temps et l’espace. Cette passion amoureuse est vécue par Alexandre et Constanze, jeune femme provenant de l’Allemagne de l’Est, qu’Alexandre a connu grâce à sa sœur aînée Caroline : « Il se demandait si Constanze, où qu’elle soit, avait retenu cette date mais sans doute qu’elle l’avait complètement oubliée et qu’elle ne se souvenait même pas de leur histoire ». On retrouve donc en Alexandre et Constanze le couple formé dans Le docteur Jivago par Iouri et Lara. Un couple qui se sépare et se retrouve à plusieurs reprises.
On est frappé dès la première page du roman par cette capacité qu’à l’auteur à dépeindre le temps qui passe, la solitude des hommes et leur rapport intime à la nature, au vivant. Car, comme Boris Pasternak, si Serge Joncour embrasse une époque à travers ses mutations, il n’en oublie jamais la singularité irréductible de la nature humaine.
Avec ce roman, le lecteur saisit une vie qui nous permet de comprendre l’autre dans toute sa complexité. On retrouve bien les propos du narrateur de L’écrivain national,un des précédents romans de Serge Joncour, lequel disait que « dans un livre, on accède à ces êtres irrémédiablement manqués dans la vie, ces intangibles auxquels on n’aura jamais parlé, mais qui, pour peu de se plonger dans leur histoire, nous livreront tout de leurs plus intimes ressorts, lire c’est plonger au cœur d’inconnus dont on percevra la plus infime rumination de leur détresse ».
Le roman comme territoire
Serge Joncour retrouve dans ce roman ces territoires qui lui sont si chers, ceux du Lot et de la Nièvre. Ces zones qui insistent, cette province qui est autant un environnement géographique que littéraire. Il s’agit bien là de son territoire d’écriture: ces paysages où le temps semble ne pas avoir de prise. A la manière d’un animal, tel que le »chien-loup » de son précédent roman, Serge Joncour est comme dirait Gilles Deleuze « un être aux aguets ». Il perçoit toute la beauté d’un paysage, nous faisant vivre ainsi une expérience sensible.
« Le roman est le plus fort. »
La force de ce romancier provient du fait qu’il semble ne parler qu’à nous. L’histoire de Nature humaine nous parle directement, opérant un acte proprement magique de la lecture qui est ce sentiment de plus se sentir complètement seul.
Il rappelait dans la revue Décapage que « le roman est le plus fort. Je veux dire, de tous les modes d’expressions, c’est le mode d’expression le plus puissant, qu’un roman soit porteur de tout un monde, de mille histoires ou d’une seule, il est incomparablement ample et intime, tentaculaire comme un rhizome courant le monde ou une simple racine remontant en soi. »
Nature humaine est un roman puissant qui porte un monde.
Le sien, le mien, le vôtre.