Épisode 7 : Watchmen ou comment les super-héros firent leur introspection.

1986, Watchmen n°1

Aujourd’hui, « j’ai vu son vrai visage. Les rues sont une extension des égouts, les égouts charrient du sang. Un jour, ils déborderont et noieront toute la vermine. L’écume de toute cette crasse de sexe et de crimes les engloutira jusqu’à la taille, putains et politicards lèveront la tête et crieront : »Sauvez-nous! » Et dans un murmure, je dirai : Watchmen !

Watchmen, ce chef d’œuvre absolu qui est à la bande dessinée ce qu’est Ulysse de Joyce à la littérature, est un comics d’Alan Moore et Dave Gibbons.

Lorsque Moore réfléchit à son histoire, son premier objectif était d’exploiter toute la potentialité de l’art sérielle qu’est la bande dessinée.

La bande dessinée, ce sont des cases et un système de lecture qui nous amène à lire une histoire d’un point A à un point B. OK. Mais entre ces points, on peut très bien mettre des Z, des P et des Y. Mieux, on peut même commencer par B avant de revenir à A. On joue alors avec la temporalité du récit. Flashback, flashforward, aller-retour insatiable. Mieux, on peut multiplier les points de vus de la même scène et jouer alors sur l’espace corollaire du temps.

Alan Moore comprend mieux que quiconque les outils et mécanismes de la bande dessinée. L’auteur de Watchmen est aussi connu pour V for vendetta  qui est une déconstruction orwellienne de l’Angleterre thatchérienne ; de From Hell, une enquête sur Jack l’Eventreur et, au-delà de lui, sur toute l’époque victorienne qui prit plus de quinze ans à Moore ; de Miracleman qui montra pour la première fois, un super héro tuant et ses états d’âmes ; ou encore de Swamp Thing qui dévoila l’amour tantrique entre une plante et une femme qui est en fin de compte vachement pornographique.

Mais avec Watchmen, Alan Moore veut aller plus loin et viser tout particulièrement l’industrie du comic-book.

Le comic-book est d’abord et avant tout une bande dessinée populaire. Nous l’avons déjà évoqué, les premiers récits des comics book ne sont pas les super héros mais les récits de Pirates, d’horreurs et les amourettes.

Moore décida de faire honneur et de déconstruire tous ces genres dans son récit tout en y incluant les super-héros.

DC Comics lui offre une carte blanche pour son récit.

Moore est libre et a envie de jeter son dévolu sur des personnages récemment acquis par DC Comics : les personnages de Charlton comics.

Charlton Comics est d’abord une maison d’édition spécialisée dans les revues musicales mais, en voyant l’engouement du public pour les super-héros, décident de créer une branche de comics super-héroïque avec, entre autres, Blue Beetle, The Question, Peacemaker, Nightshade, Captain Atom, etc.

En 1983, à force de produire pour une demande, Charlton finit par s’écrouler et est racheté par DC comics.

Moore saute sur l’occasion pour jouer avec ces personnages. DC trouve le récit trop dur et demande à Moore de garder son histoire mais de changer les noms des personnages. Moore accepte et ainsi,   Blue Beetle devient le Hiboux, The Question Rorshach, Captain Atom Dr Manhattan, Nightshade Spectre soyeux, Peacemaker Le Comédien…

Gibbons crée l’univers graphique mais c’est bien Moore l’architecte et Watchmen nait.

Une œuvre visionnaire incluant des histoires de pirates et d’horreurs dans une histoire de super-héro. Une œuvre où le super-héro n’est plus un sauveur mais est lui-même pétri de doute et ne parvient à jouir que via son costume, un super-héro proche de Dieu qui se détourne de l’humanité.

L’œuvre, un récit divisé en 6 chapitres de 32 pages, chaque chapitre dévolu à un personnage et marquant une heure dans l’histoire du récit, révolutionna non seulement le genre super-héroïque mais d’abord et avant tout notre perception de la bande dessinée.

Avec le temps, beaucoup fantasmèrent à l’idée d’adapter Watchmen en film. Finalement, Zack Snyder le fit : le film ne fait qu’adapter les planches de Moore et Gibbons au langage cinématographique.

D’ailleurs, Moore ne s’y trompe pas : il refuse d’être associé à toute création visuelle découlant de ses propres créations. Aussi, jamais vous ne verrez le nom d’Alan Moore associé à Watchmen, V for vendetta, From Hell ou encore La ligue des Gentlemen extraordinaires…

Alan Moore est libre et refuse tout, par respect pour lui-même, pour son travail et surtout pour nous, car rien ne vaut les écrits de Moore. Chaque adaptation n’est qu’une copie délavée de l’œuvre originelle.

En tout cas, c’était le cas jusqu’à l’adaptation pour HBO de Watchmen où, pour ce médium qu’est la série télévisée, Damon Lindelof, déjà connu pour Lost et The Leftovers, décida non d’adapter le comics d’Alan Moore mais de créer une histoire faisant suite au comics et, par la même, s’amusa à réellement adapter l’esprit du comics avec un jeu perpétuel dans le temps, l’espace et surtout, toujours, en faisant confiance à l’intelligence du lecteur-spectateur.

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