Chroniques littéraires

Besoin d'inspiration pour un titre, envie de découvrir de nombreux univers ou tout simplement de remplir sa pile à lire ?
Les chroniqueurs littéraires de Cultures Sauvages sauront répondre à votre fièvre de lecture, chacun avec son style sauvage.

Les articles récents

"Quand Cécile", Philippe Marczewski, aux éditions du Seuil

Se laisser emporter, subjuguer, hypnotiser, toucher par un récit qui ne ressemble à aucun autre, et qui pourtant pourrait ressembler à tant d'autres, vu ce qui y est narré, c'est aussi indescriptible et beau. Et là, là, c'est le cas de "Quand Cécile" qui emporte, et ce dès l'exergue via Maurice Blanchot : "Qui veut se souvenir doit se confier à l’oubli, à ce risque qu’est l’oubli absolu et à ce beau hasard que devient alors le souvenir." Paradoxal balancement entre ce qui est, ce qui a été, tel qu'on s'en souvient, le temps ayant balayé devant les portes de la perception, quand un être aimé et disparu est malgré tout un souvenir tenace et fugace. Une lecture à scander comme une marge en rhapsodie de la mémoire.

« Une existence sans précédent », Claire Fercak, aux éditions Verticales

Certain livres tombent là, comme inopinément et font un sens profond une fois installés, avec une foule de pages, de phrases, de pensées recopiées. Certains voyages sont une manière de partir sans la ramener, pour se trouver. "Une existence sans précédent" est de ces avancées personnelles, avec ses retours en arrière, fulgurante sans en avoir l'air, mais l'électricité. Un formidable voyage initiatique porté par une langue à l’inventivité juteuse et truculente, poétique et créative, qui jongle avec les idées reçues, les lieux communs ou inconnus, les souvenirs et pensées intimes, le réel. Pour "s’enfuir de soi", autant commencer par s’enfuir tout court. Prendre la tangente.

« L’Alligator albinos » de Xavier Person aux éditions Verticales

Qui est cet alligator albinos et de quoi est-il la clé ? Et si face au réel actuel, la littérature, la phrase belle à scander et la poésie alliant les vrais étaient vraiment d’une beauté à faire basculer les choses, ralentir le cours du temps et nous faire encore espérer ? Les images, les espérances, les traumatismes, le passé et le présent, le climat délétère et les souvenirs s'entrechoquent, les peurs impensables semblent pourtant réelles dans un monde en train de devenir fantomatique et pour sentir le temps, la pensée se kaléidoscopise. "Plus je pense, plus je pense."

« L’hôtel de la folie », David Le Bailly, aux éditions du Seuil

Comment et quand devient-on qui on est ? En quoi notre histoire familiale peut-elle nous constituer en partie et se transformer en questionnement voire enquête personnelle ? Dévoiler le passé, les non dits, les souvenirs, les photos… Dans "Hôtel de la folie" David le Bailly nous invite à regarder avec lui son passé familial, sa construction, à tenter de décrypter ce qui n’a pas été pleinement dit, dans un travail d’introspection documenté, journalistique, aussi. Un défi salvateur.

« Les chaînes sans fin », Histoire du tapis roulant, Yves Pagès, Zones, éditions La découverte

Une lecture nécessaire, en ces temps qui n'ont plus de sens, où avancer est illusoire. Un essai qui pourtant n'en a pas l'air, un exhaustivité parfois sourieuse, parfois révélatrice, une démonstration d'absurdité historique et sociétale, dont l'objectif nous apparaît, au fil des pages, : rien n’est jamais linéaire. Ce tapis roulant, qu'on ne remarque pas et qui est pourtant partout quand on sait lire le réel autrement, combinant mouvement et sur-place, a donné lieu à une foule d'absurdités dans le monde et à travers les époques, et cet essai le démontre humblement et brillamment.

« Déserter », de Mathias Enard, chez Actes Sud

Un récit empli de parallèles et de tangentes, de logique qui jongle entre les lignes du temps, les sentiments, les sensations, tout cela comme une mosaïque de voix travaillées, littérairement, logiquement, sciemment, scientifiquement par la question de l’éternel retour de la guerre et de la violence, comme une observation, des mots sur les maux et sur ce que la guerre fait au plus intime de nos vies. Un regard qui embrasse plusieurs vies, regard vif, alerte, comme un temps suspendu. Nécessaire, ces temps-ci.

"L'amour" de François Bégaudeau, aux éditions Verticales

"L'amour", titre simple, simple titre, une histoire banale, toute une vie ordinaire mais un talent d'écriture qui sous ses airs simples transmet une beauté quotidienne bien présente. Saisir l’insaisissable, comme une carte postale sociétale et désuète. Ce qui a été l'a été comme ça l'a été. C'est bien de le fixer, quelque part, en mots, en images. Remonter le fil du temps, d'objets, de films, de chansons, d'un milieu ouvrier à une autre, classe sociale, plus moyenne. Cinquante ans d'accompagnement, de vie commune, sans explosion, sans cri et sans rupture dans un petit roman. Un défi littéraire émouvant.

"Sortir au jour", Amandine Dhée, Éditions La Contre-Allée

Apaiser la vie, faire lien, rencontrer, être un "nous", quel qu'il soit. Une rencontre, un échange, une amitié, un mélange de pensées, une connaissance, un apaisement comme des petits arrangements avec la mort. Une autrice, une thanatopractrice, des narratrices, de la beauté à la fois grave, poétique, profonde, sincére, philosophique, métaphysique, un très beau texte aussi révélateur que sensible.

"Anna Thalberg", Eduardo Sangacia, Éditions La Peuplade

Un premier roman d'un auteur mexicain, traduit en français et publié par des éditions remarquables. Un roman unique, atypique, incontournable de cette rentrée littéraire hivernale. Un roman sur une femme droite, honnête, pourtant jugée comme sorcière. Un procès historique meurtrier ravivé comme une flamme furieuse. Une plongée, un tour de force, de nous faire nous attacher à une héroïne jusqu'au bûcher, et ce faisant nous faire sentir sous nos yeux la folie meurtrière du procès des Sorcières de Wurtzbourg. Un pan tragique de l’histoire germanique revisité et un incroyable roman de cette rentrée, surtout.

"Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau", Stéphanie Kalfon, Éditions verticales

Une fille disparaît, un instant juste un instant, et tout vacille, se fissure... Un récit obsédant et vertigineux, où les sensations de doute et d’incertitude montent crescendo jouant avec nos nerfs, s’installant en nous, aussi, nous poussant malgré nous a lire d'une traite, haletant. Réinterroger sans cesse ni mesure ce qu'on a devant soi, pour mesurer l'écart entre les mensonges, les secrets, les non-dits et ouvrir ce faisant des brèches dans son imaginaire et ses pensées. Un roman où se demander quelle sera la fin est vain, car on ne peut lâcher ce livre, on voudrait, mais on ne peut pas. Alors, on y plonge sans fin.